jeudi 21 mai 2009

Le Caucase, terre d'écueils

Thomas Dworzak, photographe allemand de l’agence Magnum, a mis le Caucase en image comme personne. Scènes de guerre, douleur des cœurs et des corps mais aussi moments de joie et beauté simple des habitants de la région ponctuent une œuvre construite au fil des voyages. Rencontre.

La scène se passe en plein jour, dans une rue de Soukhoumi, « capitale » de l’Abkhazie. Au milieu de la voie où luisent des flaques d’eau trouble, une femme se promène, un lourd manteau noir sur les épaules. Rien d’anormal, si ce n’est le masque à gaz qu’elle maintient sur son visage et qui lui donne des airs de fantôme toxique. Une ombre en souffrance, que pas un homme alentour ne daigne regarder.
« En 1993, des soldats abkhazes avaient été déterrés six mois après leur mort pour que les familles puissent les identifier. La rue puait », commente l’auteur de l’image. « Personne ne regarde cette femme, c’est terrible. Je crois que c’est ma photo préférée ».
Thomas Dworzak sillonne le Caucase depuis la chute de l’URSS. Il en a ramené des clichés durs, souvent troublants, qui témoignent de sa connaissance et de son amour de la région. En doux cynique, il avoue sa fascination originelle pour les sujets difficiles. « C’est avec mes premières photos de guerre en Yougoslavie que j’ai commencé à faire de bonnes plaques. Je découvrais tout ».
Homme ramassant des détritus. Thomas Dworzak, 1993

Le sujet le plus dur à capter ? « Les hommes qui pleurent. » Et en vingt ans de carrière, Thomas Dworzak en a vu pleurer plus d’un. En ex-Yougoslavie, en Tchétchénie, en Abkhazie, mais aussi en Irak, en Afghanistan, en Haïti, et jusqu’au Pakistan.
« C’est triste à dire, mais si on fait de bonnes photos, c’est d’abord parce qu’on les fait pour soi ». Comme celle, cruelle, de ce paysan dont la charrette vient de se briser et qui semble avoir tout perdu. « C’était dans une région reculée d’Abkhazie. Les gens étaient sombres, je me souviens m’être fait jeter une cigarette au visage. Je n’y suis jamais retourné ».

Bienveillance. Thomas éprouve comme une compassion discrète envers la Géorgie. Une empathie revendiquée qui l’éloigne de plus en plus de la Russie, pays dont il parle pourtant parfaitement la langue et où il a opéré pendant plusieurs mois. « Là-bas, les gens sont trop froids. J’ai l’impression qu’on ne parle pas la même langue. Vraiment, je n’en peux plus ». Le reporter de Magnum se défend pourtant de prendre des photos partisanes. « Je refuse la neutralité, mais je ne veux pas être accusateur. Seule l’émotion compte ». La guerre d’août 2008 ? « Les Abkhazes n’ont rien décidé, ce sont les Russes qui ont tout fait. »

Soldat abkhaze prisonnier des Géorgiens. Thomas Dworzak, 1993

Cette guerre, justement, Thomas ne l’a pas vécue. Bloqué sur un lit d’hôpital à New York, il s’est réveillé le matin des premiers affrontements. « Tous les clichés que j’ai pris ensuite sont mauvais. A vrai dire, la photo ne m’intéresse plus vraiment. Je trouve ça injuste de vouloir faire une bonne image. Trop facile ».
Sans grand regret, donc, il compte désormais habiter la région plutôt que l’emprisonner dans ses boîtiers. « Je n’aime plus le danger. L’âge, l’expérience sans doute. Et la lassitude.» Thomas Dworzak avait pourtant l’art de sublimer la beauté quelque peu monstrueuse du Caucase. Sa bienveillance manquera.

PHOTOS: Thomas Dworzak. Tous droits réservés.

REVIEW. The White Lies, To lose my life

The White Lies est un groupe qui écrit blanc sur noir. Une sorte d’orage sonique émaillé d’éclairs aveuglants produisant une pop nerveuse qui ne laisse pas de place aux éclaircies. En anglais, White lies signifie « pieux mensonge », un bel oxymore qui résume en deux mots l’univers clair/obscur du trio. Et pour leur premier album, sorti au printemps 2008, ces jeunes Londoniens ont frappé très fort.
A peine 20 ans, et ils ont déjà les clés du paradis en poche. Mais les White Lies s’y rendent à reculons. C’est donc avec un titre intitulié Death qu’ils ouvrent ce céleste bal des vampires. Une basse obscure, des synthés menaçants, une voix qui chante posément « So frightened of dying / Relax yes i’m trying / But fears got a hold on me »… Le testament est écrit: la voix, un peu aiguë, reste toujours grave. On se sent dans cette chanson comme dans un cercueil, mais avec un coussin confortable et doublure en satin.
Sur les chansons suivantes, l’orage passe un peu. To lose my life propose même un une petite embellie : « Let’s grow old together / And die at the same time » résonne sur un rythme entraînant. La batterie joue son rôle de métronome, mais avec empressement, comme pour gagner un peu de temps sur les heures qui passent.
Ce qui est bien avec les pieux mensonges, c’est qu’ils sont sincères. Ils pourraient nous faire croire que mourir jeune, et seul (et pourquoi pas à 27 ans ?), c’est ce qu’il y a de mieux. Erreur ! nous disent les White Lies. « L’amour ou la mort », d’accord. Mais pas six pieds sous terre.


Mauvais temps. Il pleut beaucoup, sur cet album. From the stars, d’où le chanteur Harry McVeigh (20 ans, répétons-le) relate sa rencontre vertigineuse avec un vieil ami lors de funérailles. Il y chante également l’amour est en sursis (The price of love), du sang qui coule sur E.S.T (“I leave my memoirs in blood on the floor / And my fears with the nurse on the stairs”), et dans Nothing to give, le risque d’égarrement post-traumatique (“I wish I could say I’ve clung to time like gold / But as you said goodbye, I almost died”).
Si certaines compositions peinent à se démarquer de l’humeur noir ambiante (Fifty on our foreheads, Farewell to the fairgrounds), le titre Unfinished business mettra tout le monde d’accord. Le groupe sort les ciseaux et taillent dans le vif :« You’ve got blood on your hands / And I know it’s mine » s’époumonne le chanteur sur fond d’orgues et de guitares dérapantes. C’est comme à la messe, sauf qu’on n’est pas obligé de croire à l’Eternel.
Plus gores que Joy Division, moins gémissants que les Cure, les White Lies semblent déjà maîtriser toute la grammaire dark des années 80. Et la font même sortir du tunnel. Partager leurs angoisses, regarder au fond du même trou nous rassurent. Grâce aux White Lies, le noir ne fait plus peur.

http://www.myspace.com/whitelies
http://www.whitelies.com/